·     L’étau se resserre sur Morelli, patron !

Les deux hommes roulaient en voiture, en direction du commissariat principal de la ville de Nice.

·     Massouillet était en liaison avec les trois lascars de Saint-Roman de Bellet, ce qu’une perquisition chez Jo la Bugue a confirmé de façon certaine ; il est le voisin immédiat de Morelli ; il se fait découper en morceau le soir même de la tuerie. Le faisceau de coïncidences devient si épais que beaucoup de jurys d’assise considéreraient qu’il s’agit de preuves.

·     Je ne vois qu’une seule coïncidence intéressante dans tout ce que tu m’énonces : le fait que monsieur Massouillet soit le voisin de Paul Morelli.

·     Vous ne pensez pas que cette fois-ci ils ont été un peu trop loin ?

·     Oui, je suis d’accord avec toi, mais je pense qu’il faut dire « il » au singulier.

·     Toujours ce fameux deuxième homme !

·     Oui, et je crains que Paul Morelli ne soit, lui-même, victime de cet homme.

·     Pour l’instant, celui-ci ne l’a pas tué, que je sache !

·     Cela pourrait venir, mais ce n’était pas ce que j’évoquais à l’instant. Si Paul Morelli avait été présenté au parquet après la tuerie de Saint-Roman de Bellet, et que l’on ait établi qu’il a abattu les deux hommes touchés au front, il pouvait être considéré comme étant en état de légitime défense et, étant donné le caractère chevaleresque de son expédition, il aurait pu être acquitté, voire sanctionné d’une peine symbolique avec sursis. A présent, il pourrait être sévèrement condamné, même si l’on prouve qu’il n’a pas participé directement à l’assassinat d’Henri Massouillet.

·     C’est vrai que ce jeune barbu, si c’est bien lui tout seul qui a réglé son compte à Massouillet, a bien brouillé les cartes de Morelli. J’espère qu’il va s’arrêter là, on ne pourra pas couvrir une montagne de cadavres !

·     On ne couvre personne, inspecteur, on ne couvre personne, on essaye simplement de débroussailler un écheveau bien emmêlé. L’assassin d'Henri Massouillet sera puni, je m’y engage personnellement.

L’inspecteur Agostini regardait le commissaire du coin de l’œil, il était surpris par la façon dont se déroulait cette affaire, c’était la première fois qu’il voyait son patron s’investir personnellement, de cette façon, dans une affaire criminelle. Le commissaire Bertrand avait toujours scrupuleusement respecté la procédure, ce respect étant, à ses yeux, la justification même du policier. « Vois-tu, mon petit François, notre métier nous donne des pouvoirs exorbitants. Sans un respect rigoureux de la loi et de la procédure, nous aurions vite fait de franchir la ligne étroite qui sépare le policier du gangster. Qu’est-ce qu’un gangster ? C’est un individu qui, sans se préoccuper des lois et des règlements, agit sur son environnement pour le façonner suivant ses goûts et ses besoins. Je veux ce bel objet, je me l’approprie ou je dérobe les moyens financiers pour l’acquérir. Cet individu se comporte d’une façon qui me déplaît, ou qui gêne mon petit commerce, je lui impose par la force mon point de vue, je fais régner ma propre loi. Le seul acte valide d’un policier est de transférer les délinquants devant la justice, accompagnés des preuves incontestables de leurs délits. Dès que le policier commence à écouter ses propres sentiments, dès qu’il établit des distinguos entre les délinquants sous prétexte de mettre en application sa propre conception de la morale et de la justice, il est fichu. Il glisse rapidement vers l’arbitraire... ». Qu’il était loin, cet homme intransigeant qu’il avait connu jusqu’ici !

·     Je ne vous comprends plus très bien, patron, qu’est-ce qui se passe ?

Le commissaire Bertrand lança un petit sourire malicieux en direction de son adjoint.

·     Tu n’as pas compris que, moi aussi, je suis tombé amoureux de mademoiselle Marine Duroc ?

·     Bon, d’accord, vous avez droit à un coup de foudre, comme tout le monde, mais un seul, sinon je vais perdre mon échelle des valeurs.

·     Tu m’accorderas que cette affaire n’est pas habituelle. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit des honnêtes gens affronter les pires voyous, pour sauver ce qu’ils ont de plus cher, et réussir à le faire. Crois-tu qu’il serait juste de les voir sanctionnés par la Société qui n’a pas su les protéger ?

·     Je croyais que c’était au jury populaire de décider s’ils doivent être sanctionnés ou ne pas l’être ?

·     Tu sais bien, qu’avant le fameux jury populaire, il y a le juge d’instruction et le procureur qui doivent apprécier leur éventuelle culpabilité.

·     Pourquoi ne pas laisser le juge Gilbert faire cette évaluation ?

·     Parce que Gilbert est un esprit étroit et que je ne veux pas prendre le risque de le voir détruire la vie d’un honorable industriel et d’une jeune journaliste, en appliquant aveuglément la loi.

·     Et le deuxième homme, qu’est-ce que vous en faites ?

·     C’est bien cela qui me tracasse et qui me montre que la voie est étroite. Après vingt ans de carrière sans faiblesse, la première fois que je n’applique pas rigoureusement la procédure, je me retrouve dans une situation inconfortable, avec une affaire qui risque à tout moment de m’exploser dans les mains. Finalement, vois-tu, c’est plutôt rassurant ! Cela m’évitera sans doute de céder à la tentation de recommencer.

·     Vous pouvez toujours revenir en arrière et reprendre la jugulaire.

·     Et expliquer que j’avais laissé courir les choses pour obliger le deuxième homme à se dévoiler ? Ce serait une lâcheté. Quand Paul Morelli s’est lancé sur la trace de Jo la Bugue et de ses complices, il a franchi immédiatement un point de non-retour et a dû assumer ses actes jusqu’au bout...

·     Comment on appelle quelqu’un qui s’identifie à un autre personnage, en plus du sien propre ?

·     Un schizophrène !

 

 

* * 41* *

 

Paul possédait un chalet familial, dans une station de sport d’hiver de l’arrière-pays niçois, la station d’Auron. Il pensa que l’endroit était idéal pour y rencontrer discrètement Pascal. Il téléphona au jeune homme pour lui fixer rendez-vous sur place, en lui décrivant la maison et son itinéraire d’accès. Il arriva à la station en voiture, avec Marine, en début de matinée. La température de l’air était fraîche pour la saison, mais le ciel était bleu et le soleil sans voiles devait réchauffer rapidement l’atmosphère.

La maison, vide depuis plusieurs mois, était imprégnée d’humidité. Paul décida d’allumer un feu de cheminée dans le grand séjour qui occupait l’essentiel du rez-de-chaussée du bâtiment. Marine applaudit à cette initiative, disant qu’un feu de cheminée était, pour elle, synonyme de vacances à la montagne. Paul fit allusion aux feux de camps qui auraient enchanté son enfance s’il avait été scout.

·     Finalement, avez-vous été scout ?

·     Non, mais j’ai souvent rêvé de l’être et mes rêves étaient illuminés par de merveilleux feux de camps.

·     Vos parents vous ont empêché d’être scout ?

·     Mes parents ne m’ont jamais rien interdit, mais mon environnement social et culturel m’a conduit à fréquenter un groupement de jeunesse concurrent des scouts, les Vaillants. C’était une émanation du parti Communiste Français et il avait rejeté toutes les traditions du scoutisme, sans doute inconciliables avec le marxisme-léninisme.

·     Je ne vous imaginais pas communiste !

·     Je ne l’ai jamais été, pas plus que mes parents qui étaient sympathisants et le sont encore, malgré une incontestable réussite financière. Pour ma part, mes convictions politiques ont décrit le parcours habituel des fils de bourgeois : à vingt ans, socialiste, à quarante, conservateur. Mais tout cela nous éloigne du feu de cheminée que voilà.

Nourri de bûches bien sèches, des flammes claires s’élevaient déjà dans la cheminée. Paul et Marine s’étaient regroupés devant l’âtre, fascinés par l’éternelle magie du feu. Paul se tourna vers la jeune femme et l’observa longuement.

·     Les reflets des flammes subliment votre beauté de fille du feu...

·     C’est encore une merveilleuse maison que vous avez là.

·     Elle est encore davantage mise en valeur par l’hiver.

·     La montagne est belle en été, également !

·     C’est vrai, mais, en été, il y a la mer !...

·     Vous vivez dans une merveilleuse région : l’été la mer, l’hiver la montagne, et au cours des autres saisons les deux à la fois.

·     Il ne tient qu’à vous d’y vivre.

·     Comment pourrais-je y gagner ma vie ?

·     Il y a quelques centaines de milliers de personnes qui travaillent et qui vivent dans cette région...

·     Sans doute, sans doute... J’aimerais que vous me fassiez une promesse...

·     Tout ce que vous voulez !

·     N’agressez pas Pascal avec des questions trop directes dès son arrivée. Je propose que nous passions d’abord une agréable journée ensemble, ce qui me permettra de le remercier correctement, il sera toujours temps de sortir les couteaux en fin de journée !

·     Pour l’instant, il n’y a que lui qui ait fait usage d’un couteau...

·     Pardonnez-moi, j’ai usé d’une image très malheureuse.

 

Pascal arriva vers onze heures. Paul le présenta à Marine qui l’accueillit avec un chaleureux sourire et beaucoup d’amabilités. Après quelques minutes, passées tous les trois au coin du feu, ils décidèrent de descendre à la station pour déjeuner au restaurant.

Le chalet de Paul était situé sur une hauteur qui dominait le village, pour autant que l’on puisse encore parler de village quand, au hameau initial, s’ajoutent plusieurs milliers de logements neufs.

 

Après un bon repas, Marine suggéra d’emprunter le téléférique qui relie la station au sommet du mont Las Donnas. Pascal approuva vivement en déclarant vouloir faire des cabrioles dans l’herbe. Paul accepta leur proposition.

Pendant tout le repas, Marine, qui était assise en face de Pascal, se montra très avenante avec lui. Le jeune homme répondit largement à ses sourires et une complicité amicale s’installa très rapidement entre eux. Après avoir quitté la table, ils continuèrent à chahuter comme deux gamins heureux de vivre. Paul observait leur manège d’un œil surpris, car ils savaient tous quel était l’objectif dramatique de la journée. Quand il avait appelé Pascal au téléphone, en lui disant qu’il était urgent qu’ils aient une discussion approfondie à trois, celui-ci avait approuvé, et son ton montrait bien qu’il imaginait aisément quel serait le sujet de la discussion proposée. A présent, lui et la journaliste manifestaient une gaieté et une décontraction peu en rapport avec le sérieux des propos à venir.

Une fois arrivé dans les pâturages, Pascal se livra effectivement à des cabrioles, imité aussitôt par Marine qui était vêtue d’un pantalon. Paul refusa dignement de se prêter à ses enfantillages. Peu à peu, il réalisait que le courant de sympathie qui s’était établi entre les deux jeunes gens, l’isolait d’eux de façon irrémédiable. Il prenait conscience que ces deux êtres jeunes se reconnaissaient comme étant de la même génération, alors que lui faisait figure de vieux à côté d’eux. En quelques heures, ils avaient atteint un degré d’intimité, que plusieurs journées n’avaient pas permis à Paul d’obtenir avec Marine.

Plus les deux jeunes gens se manifestaient des témoignages d’amitié, plus Paul se renfrognait et s’écartait d’eux.

Au moment où le ciel commençait à s’obscurcir, les trois promeneurs regagnèrent leur véhicule. Marine et Pascal s’installèrent à l’arrière. Paul, qui s’obligeait à ne pas regarder dans son rétroviseur tout au long du trajet de retour au chalet, les entendait rires et chahuter. C’étaient autant de coups de poignards qui s’enfonçaient dans son cœur. Il en voulut d’abord violemment à Pascal de l’avoir trahi alors qu’il connaissait son amour pour la jeune femme. Il ne pouvait pas en vouloir à celle-ci, qui ne lui avait jamais rien promis et qui, au contraire, avait toujours maintenu ses distances par rapport à lui. Peu à peu, sa rancœur contre le jeune homme s’atténua. Il pensa que, de toute façon, si elle ne l’avait pas fait pour celui-ci, Marine l’aurait délaissé pour un quelconque autre jeune homme. En arrivant au chalet, Paul se demanda s’il ne devait pas s’éclipser discrètement pour laisser les deux jeunes gens passer la nuit ensembles. Il ne pouvait pas leur faire ouvertement cette proposition, c’était au-dessus de ses forces, mais il songea à profiter d’une opportunité pour partir.

 

Quand ils se retrouvèrent dans le séjour, après que Paul eut ravivé le feu dans la cheminée, Pascal saisit soudain Martine par un bras et l’entraîna dans un coin reculé de la vaste pièce. Ils chuchotèrent pendant quelques minutes en souriant, puis la jeune femme vint informer Paul qu’elle allait redescendre avec Pascal à la station pour faire quelques achats. Elle lui suggéra d’entretenir le foyer pendant ce temps. Quand le couple fut sorti, Paul pensa que le moment était venu de disparaître. Il griffonna rapidement un petit mot sur un papier, qu’il laissa bien en vue sur une table, avec les clés du chalet posées dessus. Ne voulant absolument pas prendre le risque de rencontrer les jeunes gens sur sa route, il partit en empruntant des chemins détournés.

 

Le voyage de retour vers Nice fut sinistre. Paul s’appliquait à faire le vide dans son cerveau, pour éviter de penser au couple qu’il avait laissé dans son chalet et à leurs ébats futurs. Il ne put quand même pas s’empêcher de penser qu’une page de sa vie sentimentale était irrémédiablement tournée, il se voyait déjà au seuil de la vieillesse et de l’abstinence sexuelle forcée.

·     Imbécile, la prochaine fois, tu tomberas amoureux d’une femme de ton âge, ce qui t’évitera peut-être de te la faire souffler par un homme plus jeune !

Il réfléchit encore un instant sur ce sujet, mais ne parvint pas à admettre que la fin lamentable de sa belle aventure était inéluctable.

·     Dix ans d’écart, ce n’était pas énorme, ce n’est pas une barrière infranchissable. En fait, j’avais l’impression, cet après-midi, d’avoir un siècle de plus qu’elle. Je suis un vieux rabat-joie, voilà le problème !

Ces considérations peu optimistes l’avaient conduit jusqu'à sa villa. Réalisant, tout à coup, qu’il était arrivé chez lui, il perçut le spectre de la solitude qui l’attendait dans une maison qui, le matin encore, retentissait des rires de Marine. Il décida de ne pas rentrer chez lui immédiatement.

·     Il y a plus de dix ans que je n’ai pas bu d’alcool, il me semble que c’est le soir pour m’y remettre. Peut-être, comme me l’ont dit certains, que c’est le fait de ne plus boire d’alcool qui m’a rendu triste et ennuyeux... Et puis, il y a dix ans... J’avais l’âge de Marine.

Il fit redémarrer son véhicule et partit en quête d’un bar. Il entra, quelques instants plus tard, dans un piano-bar qui était proche de son domicile. Il était passé des centaines de fois devant cet établissement, en voiture, sans jamais s’arrêter.

 

     

* * 42 * *

 

Paul entra dans une petite salle à l’atmosphère bleutée. Un homme sans âge, installé derrière un piano droit de couleur blanche, jouait « My funny Valentine » sur l’instrument mal accordé. Un couple occupait l’une des rares tables de la salle. L’homme était penché vers la femme et lui parlait à l’oreille. Ses propos avaient l’air d’amuser sa partenaire qui gloussait en les entendant. A l’une des extrémités du comptoir, une femme blonde, d’âge mûr, était assise sur un tabouret. Les deux coudes posés sur le comptoir, elle soutenait son visage avec les paumes de ses mains. Seul, le barman, un jeune homme d’origine maghrébine occupé à essuyer des verres, le regarda entrer et répondit à son salut par un petit hochement de tête.

Paul s’assit à l’extrémité disponible du comptoir et commanda un scotch, servi sec, sans glace. Quand le barman l’interrogea sur la marque qu’il désirait, il désigna du doigt une bouteille de « Wild Turkey», un bourbon très musclé du Kentucky. Aussitôt servi, il but son verre d’un trait et resta un moment secoué par la violence de l’alcool qui s’engouffrait dans son organisme. Il commanda immédiatement un deuxième verre.

·     Quand un homme boit de cette façon, c’est qu’il a un chagrin d’amour !

La femme blonde s’était levée et se tenait à présent près de lui. Il vit qu’il s’agissait, sans doute, d’une prostituée. Elle avait environ une cinquantaine d’années et avait dû être belle avant que les effets de l’alcool et d’une vie dissolue n’aient marqué ses traits, accentuant prématurément ses rides.

·     Tu m’offres un verre ?

Paul lui désigna d’un geste le tabouret voisin du sien, ce qu’elle considéra comme une invitation. Pendant qu’elle s’asseyait et commandait la même chose que lui, Paul avala son second verre.

·     Doucement Chéri, à ce rythme-là tu vas t’assommer comme un bœuf !

Paul réalisa qu’elle avait raison, déjà, il se rendait compte que sa lucidité commençait à vaciller. Il décida d’arrêter de boire.

·     Alors mon chou, c’est ta femme qui t’a plaqué ?

Malgré son début d’ivresse et son désespoir, la familiarité de cette femme l’indisposait. Il lui indiqua, d’un geste, qu’il ne désirait pas aborder ce sujet et lui dit :

·     Parlez-moi plutôt de vous !

·     Oh ! Mon pauvre Chéri, si tu crois que le récit de ma vie va te distraire ?... Tu vas te saouler deux fois plus vite, et moi avec toi.

Paul se désintéressa de sa voisine et se demanda soudain ce qu’il faisait là. S’il n’avait plus l’intention de boire, ce qui paraissait raisonnable, il ferait bien de partir. La femme avait fait glisser son tabouret vers le sien, elle se pencha vers lui et lui susurra à l’oreille :

·     Par contre, je peux être gentille avec toi. Ca, c’est bon pour ce que tu as ! On peut aller dans ta voiture et tu auras droit à des caresses très agréables. Tu pourras faire tout ce que tu veux dans ma bouche...

Une curiosité soudaine s’empara de Paul.

·     Combien ?

·     Deux cents francs, pour toi, mon chou.

·     D’accord, on y va !

Il fut surpris, lui-même, d’avoir prononcé ces mots. Il n’avait jamais eu de sa vie de rapports avec une prostituée et celle-ci ne l’attirait pas particulièrement. Il paya le barman, qui l’observait avec un petit sourire goguenard. Il eut soudain envie de flanquer un grand coup de poing sur le nez de ce jeune homme sarcastique, mais il se retint et quitta la salle, suivi par la femme blonde.

Lorsqu’ils furent arrivés à l’extérieur, pendant que sa compagne s’extasier sur le luxe de sa voiture, il réalisa toute l’absurdité de sa situation. Il ouvrit son portefeuille, tira un billet de cinq cents francs et le donna à la femme, en l’empêchant de pénétrer dans son véhicule. Quand elle s’aperçut qu’il n’attendait rien en échange du billet, tout en faisant disparaître prestement celui-ci dans son corsage, elle protesta en disant qu’elle ne demandait pas l’aumône et qu’elle tenait à s’acquitter de sa tâche. Paul ouvrit sa portière, sans rien dire, s’installa au volant et fit démarrer son moteur. La femme tenta d’ouvrir la portière du passager avant, qu’il verrouilla d’un geste. Elle frappa contre la vitre en lui demandant d’ouvrir. En lui adressant sont plus beau sourire, il passa la première et embraya. Il entendit vaguement la prostituée l’injurier, au moment où sa voiture démarrait et quittait le trottoir. Il se concentra sur la conduite sans faire attention à elle. Son esprit n’était pas très clair et il devait éviter que cette mésaventure ne s’achève bêtement contre un mur ou contre un véhicule en stationnement.

Quand il eut roulé quelques dizaines de mètres, il éclata soudain d’un énorme rire, un rire de dérision contre lui-même, qui le détendit un peu, bien qu’il eût un goût amer. Comme un éclair, une idée traversa son esprit : il était même devenu trop vieux pour pouvoir prendre une cuite et se faire sucer par une vieille pute expérimentée !